Article remis à jour le 27/05/2021.
Les névrites post chirurgicales sont un des points les plus importants de la chirurgie buccale.
Quel est le protocole à suivre au cas où un praticien pense avoir plus ou moins traumatisé un tronc nerveux important au cours d’une intervention chirurgicale?
Voilà bientôt 6 ans que j’écris sur ce blog et j’apprends encore beaucoup! Il y a donc des choses que j’ai dites et avec lesquelles je ne suis plus tout à fait d’accord. Je me dois donc, en toute honnêteté, de le faire savoir!
Ayant eu une formation chirurgicale très rigoureuse, grâce à mes maîtres, ma technique d’extraction des dents par fragmentation, et en sortant chaque morceau dans la direction où il n’accroche rien, a fait que j’ai exercé la chirurgie buccale pendant 40 ans, sans avoir jamais lésé un nerf! en tout cas pas à ma connaissance, et je n’ai eu ni plainte, ni procès, malgré les plus de 200.000 dents que j ‘ai extrait.
Il faut aussi arrêter avec cette hypertrophie de l’ego qui fait que l’on ne doit laisser aucune racine, et tout sortir coûte que coûte. Le challenge pour un chirurgien n’est pas de récolter de trophées, mais de nuire le moins possible à ses patients.
Je ne parlerai pas ici de la chirurgie maxillo-faciale, grande pourvoyeuse en névrites post-chirurgicales.
J’ai aussi toujours préféré l’anesthésie locale à l’anesthésie générale, et toujours préféré extraire les dents de sagesse 2 par 2 côté par côté, sur un patient conscient sur lequel on ne peut pas faire n’importe quoi!!!
Je me rends (enfin!) compte que j’ai eu la chance (ou le mérite?) de vivre un exercice professionnel idéal, entouré des meilleurs, ou tout était « pour le mieux dans le meilleur des mondes! »
Pourvu que j’ai su transmettre à mes élèves ce précieux savoir qui m’a été donné!…à eux de le dire…
J’ai donc considéré, lors de mon départ à la retraite, que les alvéolites n’existaient plus, que les névrites post chirurgicales étaient un mythe!!! et que les communications bucco-sinusiennes n’était qu’une simple avatar de notre exercice chirurgical!
Eh! bien non! mes 6 années de blog, mes 4 millions de pages lues et 75.000 commentaires et emails, me prouvent bien le contraire!
L’utilisation à tout va et n’importe comment du laser, à une température de 2000° n’est certainement pas anodine.
Et les « sinus lift » certainement encore moins!!!
De plus, tout le monde et n’importe qui, se met à faire des implants, n’importe comment, parfois même avec une simple radio panoramique.
L’amélioration des techniques d’imagerie médicale a enrichi mes connaissances en anatomie, et j’ai pu confirmer, ce dont je me doutais déjà, que le canal mandibulaire est souvent double voire triple, et qu’il suffit de toucher ou de comprimer un embranchement, même mineur, pour déclencher des névrites.
J’ai donc décidé de ne plus faire l’autruche, de voir les choses en face, et d’essayer d’améliorer la situation au lieu de la nier.
A ce propos, je conseille vivement aux professionnels de s’informer auprès du blog « si-hippocrate-savait.com ».
Voila pour le côté négatif! Mais ma nature optimiste me pousse maintenant à essayer de positiver en réfléchissant à ce qu’il faudrait faire pour améliorer la situation au lieu de culpabiliser la profession.
Pour moi, comme toujours, c’est d’abord et avant tout une question de PRÉVENTION.
La principale des préventions est de faire des dépistages chez les adolescents pour établir si les germes de dents de sagesse sont bien orientés et s’ils ont la place pour évoluer. Extraire un germe dont les racines ne sont pas calcifiées ne présente aucun danger pour aucun nerf. C’est sans doute parce que j’ai pratiqué un nombre incalculable de germectomies que je n’ai pas eu d’accidents.
Et si on raté le coche et que la dent est incluse, il faut l’extraire le plus rapidement possible. Plus on attend et plus on prend de risques car la racine et l’os se calcifient de plus en plus avec l’âge.
Quel sont les obstacles anatomiques?
A la Mandibule.
Nous allons reprendre une vieille habitude, et nous allons commencer par rappeler l’anatomie de la mandibule et de ses nerfs.
Voyons comment est innervée la mandibule: Toutes les branches sont issues du trijumeau et sont exclusivement sensitives.
1- nerf auriculo-temporal
2- nerf mandibulaire
3- nerf lingual
4- corde du tympan
5- foramen mandibulaire
6- épine de Spyx
7- trou mentonnier
8-9- nerf mentonnier et ramifications
10- ganglion de Gasser
11- nerf buccal
Attirons l’attention sur un certain nombre de points de la figure ci dessus:
a)Vue du coté gauche de la face externe de la mandibule:
– en n° 2 le nerf dentaire inférieur a changé de nom, il s’appelle désormais « nerf mandibulaire », il entre dans l’os au foramen mandibulaire(5), passe dans le canal mandibulaire, et en sort au trou mentonnier (7 et 8) où il prend le nom de nerf mentonnier(9) et se subdivise.
b) Vue de la face interne du côté droit de la mandibule (côté gauche sectionné et retiré):
– en n° 3 le nerf lingual chemine hors de l’os, dans l’épaisseur de la muqueuse, en lingual des dents et se ramifie plus tôt que sur ce dessin. Il innerve une grande partie de la langue.
Il en résulte, que les trois nerfs qui nous concernent le plus sont: le nerf mandibulaire, le nerf lingual et et le nerf mentonnier, qui sont tous issus du nerf trijumeau (voir ICI). Le trijumeau est un nerf exclusivement sensitif.
Le nerf mandibulaire, (anciennement « nerf dentaire inférieur » nouvellement « nerf alvéolaire inférieur).
C’est un nerf assez gros qui chemine dans un tunnel osseux en dessous des prémolaires et molaires inférieures. Tout ce qu’on fait sur ces dents est susceptible d’avoir une incidence sur le nerf mandibulaire. Il envoie des ramifications pour innerver chaque dent et passe très près des racines des dents de sagesse.
Sur les clichés panoramiques, le canal mandibulaire est visible et on peut déjà évaluer le risque d’une intervention sur une dent de sagesse par exemple.
Voici une radiographie panoramique intéressante:
Une dent de sagesse, incluse ou pas, peut être très proche du nerf mandibulaire.
A ce niveau, la mandibule est épaisse, et le canal mandibulaire peut être en avant, en arrière ou sur le nerf mandibulaire.
Sur un cliché panoramique le cliché et en dehors de la mandibule, donc en vestibulaire des dents: ce qui apparaît comme plus proche du film est donc vestibulaire.
Sur un cliché rétroalvéolaire, le film est en lingual: ce qui apparaît plus net est donc lingual.
En cas de doute, il faut faire un scanner. La lecture du scanner est beaucoup plus compliquée et fera l’objet d’un article séparé car il faut trouver des clichés dont je ne dispose pas actuellement.
Le seul moyen de protéger le nerf mandibulaire est de bien analyser les clichés avant l’intervention pour bien situer sa position par rapport à la dent à extraire. En cas de doute, il faut fractionner la dent et séparer les racines, puis les sortir une par une dans la direction qui aura été établie avec les clichés radiographiques.
Le nerf mentonnier.
Il est la continuation du nerf mandibulaire après sa sortie au trou mentonnier. Il y a un gros paquet vasculo-nerveux qui sort à ce niveau et qui est très vulnérable: le meilleur moyen de ne pas le léser est de le mettre à nu, de le visualiser et de bien montrer à l’aide opératoire où il se trouve pour ne pas le déchirer avec l’écarteur. Il est plus facile à éviter car visible et il existe des écarteurs spéciaux pour le protéger.
Le nerf lingual.
Il chemine dans l’épaisseur de la muqueuse linguale, il est donc contre-indiqué de faire des traits de décharge verticaux en lingual des dents inférieures. Chaque fois que ce sera possible, on optera pour un lambeau à décollement cervical sans trait de décharge vertical. En cas de nécessité le trait de décharge sera déporté le plus en avant possible, là où le nerf est déjà ramifié en plusieurs branches.
Lorsqu’une dent de sagesse inférieure se trouve en position linguale, on fait une incision le long de la crête et on décolle avec le périoste en lingual de façon à récliner le nerf avec la muqueuse. On le protège ensuite avec un écarteur lame type Sorensen.
Innervation de la langue.
Nerfs moteurs:
Tous les muscles de la langue sont innervés par le Grand Hypoglosse (XII) sauf le palato-glosse innervé par la partie vagale du plexus pharyngien (IX Glossopharyngien).
Nerfs sensitifs:
La partie postérieure de la langue, et l’épiglotte sont innervées par une branche du pneumogastrique (X) le nerf pharyngé supérieur.
La base de la langue est innervée par le pneumogastrique (X).
Le plus grande partie est innervée par le lingual, branche du mandibulaire issu du trijumeau (V).
Nerfs sensoriels (goût):
Innervation par le Glossopharyngien (IX) et la corde du tympan, branche du facial (VII).
Au maxillaire supérieur.
L’os maxillaire supérieur forme les fosses nasales avec l‘os nasal de chaque côté et participe à une partie de l’orbite. Les parties latérales sont soudées aux os zygomatiques (ou os malaires) qui forment les pommettes. La partie interne participe aux fosses nasales. La partie inférieure porte les dents et forme la voûte palatine. L’os vomer, os impair participe à la partie postérieure de la cloison nasale et s’articule sur le palais
1 suture avec l’os frontal
2 échancrure des fosses nasales
3 partie de l’orbite
6 trou sous orbitaire
7 suture avec l’os zygomatique
Au centre de l’arcade dentaire, l’os maxillaire et le vomer forment la voûte palatine, c’est à dire le palais.
En arrière, l’arcade se termine de chaque côté par les tubérosités. En arrière des tubérosités se trouve la fosse ptérygomaxillaire.
Le maxillaire supérieur est un os spongieux, léger, aéré puisqu’il est creusé par le sinus maxillaire, et participe aux fosses nasales et à l’orbite. Il laisse le passage du nerf sous-orbitaire, par le trou du même nom. Il est donc particulièrement perméable.
Les points de sortie des nerfs sont bien indiqué dans ce schéma:
Comment éviter las accidents?
- En établissant un diagnostic juste.
- En connaissant parfaitement l’anatomie des nerfs qui nous concernent, et en protégeant ceux qui sont superficiels (lingual) avec des lames métalliques, tout en évitant de les léser avec les écarteurs.
- En disposant de toute l’imagerie médicale, tridimensionnelle, n’en déplaise à la Sécurité Sociale.
- En n’extrayant AUCUNE dent sans une radiographie préalable.
- En ne cédant jamais à la pression des patients et en n’opérant aucun acte chirurgical, quel qu’il soit, à la va vite, en urgence, et sans préparation.
- En ne dépassant jamais ses propres capacités physiques et nerveuses, et n’opérant pas à 9 h du soir « pour être tranquille ».
- En étant assisté d’un personnel compétent et pas surmené et en respectant un horaire strict et en n’ayant pas une salle d’attente pleine.
- En ayant une vraie formation chirurgicale et respectant des protocoles strictes qui ne peuvent pas être transgressés.
- En n’utilisant pas toujours la voie d’accès la plus rapide, mais la plus sûre,
- En ne posant jamais d’implants sans une imagerie tridimensionnelle, et en procédant à des contrôles radiographiques per-opératoires,
- En utilisant des localisateurs d’apex pour éviter les dépassements de pâte obturatrice lors des traitements endodontiques,
- En dévissant toujours un implant d’un 1/4 ou d’un 1/2 tour à la moindre douleur de type « névritique », et en évitant les tronculaires pour la pose d’implants mandibulaires postérieurs.
- En ayant une vraie relation avec le patient pour obtenir sa participation et en ne choisissant pas systématiquement l’anesthésie générale. Alors que tous les anesthésistes essaient d’utiliser de plus en plus les anesthésies locales et régionales, les odonto-stomatologistes, par facilité, font tout sous anesthésie générale. Travailler sur un patient conscient oblige à le respecter, et j’ai suffisamment fréquenté les « salles d’op » pour savoir le relâchement qui s’opère aussitôt que le patient est endormi! Un patient sort enrichi d’une expérience sous anesthésie locale, comme d’une épreuve initiatique. Il reste en possession de son corps et ne l’abandonne pas à autrui.
- En déléguant à un spécialiste, chaque fois qu’on pense être à la limite de ses compétences.
- En fréquentant des services hospitaliers où on peut apprendre et avoir une formation continue.
Et malgré toutes les précautions, un accident est toujours possible. L’occulter ou le nier ne fait qu’aggraver les séquelles possibles, fautes d’avoir réagi rapidement.
Que faire en cas de soupçon de lésion d’un tronc nerveux?
En per-opératoire:
– La technique de la coronectomie doit trouver sa place dans l’exercice de la chirurgie buccale. J’y consacrerai un article.
– Laisser la racine qui touche le nerf: elle s’éloignera d’elle même avec le temps, et permettra à posteriori une deuxième intervention non traumatisante.
– Si la racine laissée s’infecte, l’infection élargit l’os autour et facilite sa sortie.
– Arrêter le forage s’il s’agit de la pose d’un implant, et refermer sans rien mettre de compressif dans le puits de forage.
– Comme je l’ai dit, remonter l’implant en le dévissant un peu.
Immédiatement en post-opératoire:
- Antibiotiques : amoxicilline par voie générale, si le patient n’est pas allergique, sinon LA Pyostacine.
- Antalgiques : de niveau 1 ou 2 selon l’intensité de la douleur.
- Corticoïdes : prednisolone à 40mg/24h pendant 10 à 20 jours. Donnés de façon précoce, ils agissent sur la compression, l’ischémie et le processus inflammatoire.
- Injections de corticoïdes « in situ » c’est à dire dans le champs opératoire.
- Complexe vitaminique : B1, B6, B12 et C pendant 6 semaines pour accélérer la régénérescence nerveuse.
- Vasodilatateurs : pour diminuer l’ischémie.
A court terme:
- Une chirurgie de décompression pour les implants et les dépassements endodontiques.
- Une chirurgie réparatrice pour les sections totales peut être tentée rapidement avant que la dégénérescence n’ait commencé.
- Se méfier des chirurgies abusives qui aggravent les douleurs au lieu de les soulager.
A plus long terme:
- Traitements médicamenteux. Dans les cas rebelles prescription d’anti épileptiques et antidépresseurs. En ce qui me concerne je ne suis pas vraiment pour, mais dans le cas de grande souffrance du patient on n’a pas trop le choix: TEGRETOL (Carbamazépine) antiépileptique , EFFEXOR (Venlafaxine) antidépresseur, les anti-inflammatoires, la Vitamine C pour ses propriétés anti-inflammatoires et surtout une synergie entre plusieurs médicaments qu’il va falloir trouver par tâtonnements.
- Une étude en cours semble prometteuse sur l’utilisation de la Mésothérapie.
- L’ostéopathie peut aussi apporter une aide non négligeable.
Il faut aussi que les patients soient accompagnés psychologiquement et qu’ils soient écoutés et pas rejetés car trop dérangeants!
Un dernier petit détail « bassement matériel »: les praticiens doivent vérifier leurs assurances (en particulier pour les implants) et ne pas hésiter à faire de déclaration en cas de nécessité. Quant aux patients ils doivent exiger une déclaration de leur praticien lorsque survient un accident.