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Le dentiste et la sophrologie.

Qui plus que le dentiste, est confronté sans cesse à la douleur? C’est cette éternelle question qui l’a poussé sans cesse à dépasser cet obstacle.
Ce n’est pas un hasard si c’est un dentiste qui a découvert l’anesthésie générale, et ce sont surtout les dentistes qui ont promu la sophrologie.
Pire que la douleur, c’est la peur de la douleur, c’est à dire l’angoisse!
L’angoisse qui touche le tandem praticien-patient, car il ne faut pas croire que le praticien reste en dehors! Il est bel est bien impliqué dans le duo sado- masochiste!

Alain Giraud, Sophrologue,  a récemment publié un article, basé sur l’interview de deux dentistes faisant partie de la génération des pionniers de la sophrologie dentaire. Je vous le livre tel quel, dans son intégralité ( Santé Intégrative, N° 54 avr/mai/juin 17).

QUAND LA SOPHROLOGIE S’INVITE CHEZ LE DENTISTE.

Les odontologistes madrilènes (Dr Baldomero SOL, initiateur, sous l’impulsion du Dr CAYCEDO), furent les premiers praticiens à employer une sophrologie pratique et des sophronisations au cours de leurs interventions. Ce n’est pas un effet du hasard. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que le rôle de l’odontostomatologiste se complique particulièrement par une difficulté fondamentale dans sa relation avec le patient : le symbolisme de castration, la peur ancestrale du « dentiste », les rendez-vous souvent nombreux, les anesthésies locales parfois répétées, la nécessité de mutiler suivie de l’obligation presque constante d’inclure dans la bouche et même dans les maxillaires des corps étrangers à but prothétique et à vocation fonctionnelle sont autant de facteurs défavorables.

 

Depuis le Symposium de Lausanne (1973) la sophrologie est donc à la fois utilisée dans son sens le plus large (sophropédagogie) et dans le territoire paradoxalement réduit des maxillaires. Elle tend ainsi à transformer la pratique courante, aussi bien en cabinet dentaire qu’en salle d’opération et dans la suite logique représentée par la restauration prothétique dont l’importance fonctionnelle et sociale fondamentale doit être soulignée.

Aujourd’hui, la sophrologie intègre les disciplines dentaires et maxillo-faciales dans la science de l’homme et dans le cadre de l’acceptation du schéma corporel. Le spécialiste concerné doit avoir conscience de son rôle de thérapeute complet dont une certaine connaissance de la psychopathologie ne peut être totalement exclue.

Mentionnons d’abord ses répercussions sur la personnalité du praticien, qui ne peut prétendre être sophrologue sans avoir été sophronisé. L’odontologiste est le premier bénéficiaire des méthodes d’entraînement et de déconnexion. Outre l’expérience personnelle nécessaire à une application pratique rationnelle, la sophrologie permet une lutte efficace contre la fatigue provoquée par le métier lui-même et la tension nerveuse entretenue par les responsabilités supportées. Un praticien observant tout son calme provoquera chez son patient un relâchement appréciable.

Vous l’avez compris, la dentisterie est un domaine exigeant où le stress psychologique, la douleur du patient et les difficultés relationnelles sont des éléments omniprésents que le chirurgiens dentiste doit gérer au sein de son activité professionnelle. Pour en parler, j’ai le plaisir d’accueillir aujourd’hui dans « paroles de Sophrologues » deux invités. :

– Le Dr Albert Hauteville Docteur en chirurgie dentaire, Docteur en sciences odontologiques, co-auteur et responsable de publication du livre publié en 1989 en français et en italien, aux Editions Masson : « Manuel d’Odontologie Chirurgicale »(épuisé).
– Le Dr Jean-Pierre Hubert psychanalyste, bio énergéticien, chargé de cours à la Faculté de Médecine de Paris XII, auteur des livres fondamentaux sur la sophrologie depuis 1982, a écrit en 2010 un ouvrage conséquent sur « La sophranalyse » aux éditions L’Harmattan.

Alain Giraud : Tout le monde connaît le mythe de « l’arracheur de dents ». Peut-on dire encore aujourd’hui que les gens ont peur d’aller chez leur dentiste ?

Albert Hauteville : Je suis d’une génération où « la peur du dentiste » et l’hygiène bucco-dentaire lamentable des français faisaient des ravages sur le sourire national. En plus, la culpabilité inhérente à notre profession à cette époque m’a poussé à une recherche que les jeunes confrères n’ont probablement plus l’occasion d’entreprendre aujourd’hui.  La douleur n’est pas une chose insurmontable. Les bourreaux de l’inquisition et de la Gestapo le savaient bien. Ce qui est intolérable c’est l’angoisse qui l’accompagne. La souffrance physique ne suffit pas à faire craquer un individu, il faut l’humilier, le détruire psychologiquement. Si on retire l’angoisse, la douleur en elle même est parfaitement supportable, surtout actuellement avec tous les moyens d’anesthésie dont nous disposons. De plus, la douleur une fois passée ne laisse aucune trace, aucune séquelle, on arrive même à avoir des difficultés à se souvenir comment c’était.

AG : Le principe même de toutes les techniques pour aider les phobiques de la« peur du dentiste » n’est ce pas de s’attaquer à l’angoisse ?

AH : Tout à fait… Ne pas mépriser les gens qui ont peur, respecter leur peur. Qui a dit que les héros n’ont pas peur? ils ont peur. La peur est naturelle, elle permet de sécréter de l’adrénaline qui va donner l’énergie et la force de surmonter le combat. C’est la peur qui donne aux animaux l’énergie du combat ou de la fuite: c’est elle qui les sauve. Accepter sa peur et ne pas en avoir honte, c’est désamorcer l’angoisse et la moitié du chemin est déjà faite. La peur d’avoir peur engendre l’angoisse. La plupart du temps les phobiques essaient de nous faire peur de leur peur et en quelque sorte de nous la transmettre. Il faut leur montrer qu’il n’en est rien. Prendre en charge la peur du patient avec bienveillance est le premier pas pour l’aider. Attacher les bras du patient au fauteuil comme on l’aurait fait il y a un siècle ne fait qu’aggraver sa peur. S’il s’agite pendant l’intervention il suffit de lui poser doucement la main sur le bras et tranquillement lui transmettre notre sérénité. Lui faire savoir que nous sommes bienveillants à son égard et que nous savons qu’il souffre plus de sa peur que de toute autre chose.

AG : la Sophrologie a-t-elle sa place ici toute sa place ?

AH : Avant la Sophrologie, il y a eu l’hypnose, dont on ne peut nier l’efficacité, mais qui a plus ou moins été abandonnée en raison de la lourdeur de sa procédure et des difficultés de détachement du transfert de certains patients vis-à-vis du praticien. Elle est à mon sens trop inductive et implique un certain pouvoir de l’hypnotiseur sur l’hypnotisé. Elle présente en outre le danger de déclencher des processus difficilement contrôlables chez certains patients hystériques ou hystéroïdes. On a donc petit à petit évolué vers des méthodes moins autoritaires, comme le training autogène de Schultz, mais toujours aussi inductives. On suggère au patient des sensations de lourdeur, de chaleur, de vision de couleurs etc…pour le centrer sur son corps. En ce qui me concerne, j’ai été formé à l’hypnose, puis au training autogène, et ensuite à la sophrologie; j’en ai tiré une méthode composite variable en fonction de chaque patient. L’important est de laisser parler le patient et d’écouter ses peurs et ses fantasmes. On le met en position allongée et on l’aide à se détendre et à ressentir les sensations de son corps: sensations de fourmillements des doigts, vision de taches colorées etc. On lui fait faire des exercices respiratoires mobilisant le diaphragme et faisant un véritable massage des viscères, ainsi que du plexus solaire qui est souvent le siège de l’angoisse. C’est un apprentissage du patient qui ne comprend aucune forme d’induction de la part du praticien, et qui demande pas mal de temps, rendant cette méthode difficile à appliquer dans l’exercice quotidien et surtout avec les contraintes imposées par la Sécurité Sociale. C’est donc une méthode à réserver aux patients difficiles non désireux de recourir à l’anesthésie générale.

AG : Un contrat de confiance entre le patient et le praticien sera de mise. L’alliance sophronique est un élément essentiel dans cet accompagnement…

Jean-Pierre Hubert : En effet, l’alliance sophronique commence dès que le sujet accepte notre condition. Nous acceptons la sienne en équilibre total, d’où le terme d’alliance. On donne et on reçoit sur une base égalitaire. En complément, il y a attitude informative de la part du praticien et attitude formative de la part du patient.
Trois principes fondamentaux régissent l’action du praticien :
1) La réalité objective qui est le caractère même de la spécialisation ; le sujet désirant recevoir une instruction axée sur l’intervention dentaire, stomatologique, maxillo-faciale.
2) Le principe d’action positive : tout élément positif dirigé vers la conscience se répercute positivement sur tous les éléments psychiques. Autrement dit le malade bénéficie d’une formation au-delà de l’acte odontostomatologique lui-même.
3) Le principe du schéma corporel comme réalité vécue. L’action positive va nous faire sélectionner les sensations positives auxquelles d’autres sensations du même ordre vont se substituer. Il s’agit donc d’utiliser tout simplement le schéma corporel, force énorme que nous allons catapulter. Ainsi, cette méthode de base apparaît dans son universalité car l’alliance est structuralement vécue dans une ligne de réorganisation globale qui débute dès le premier jour de l’entraînement, avant la période d’activation intra sophronique, à la fois thérapeutique et pédagogique concernant directement l’acte du chirurgien dentiste.

AG : Les deux acteurs, patient et praticien, sont sur la même longueur d’onde. L’alliance est établie. Concrètement qu’allez-vous mettre en place comme méthode ?

JPH : Les techniques directes et d’urgences peuvent s’adresser à la pratique habituelle en cabinet dentaire. Elles comprennent :
– La décontraction rapide du patient par une sophronisation de base, toujours codée sur dix minutes environ et entraînant un état de déconnexion contrôlée. Elle tend à réduire considérablement et même à supprimer l’état d’anxiété.
– L’analgésie pour la préparation des cavités d’obturation.
– L’anesthésie pour les extractions, y compris les extractions de dents incluses s’il y a contre-indications à une anesthésie de type classique. On utilisera dans ce cas la technique de sophro substitution sensorielle, c’est-à-dire un changement de sensation pour une autre sensation. Après l’interrogatoire du patient, on procède à une sophronisation de base, relaxation avec les yeux fermés, détente douce des muscles du visage, de la face, des épaules et de la nuque. La circulation cérébrale est beaucoup plus souple, on éprouve une sensation d’harmonie, de tranquillité, de paix, le monde des sensations est amélioré. La relaxation se poursuit par les bras, les avant-bras et les mains, puis les muscles du dos et les abdominaux. La respiration se révèle profonde, régulière et agréable. Les jambes se relaxent complètement, la circulation est libre. Abandonnant le monde extérieur, on plonge « au bord du sommeil ». Dès ce moment, tout se passe comme dans un rêve. Le sophrologue poursuit : « Quand je compterai trois, vous sentirez votre maxillaire froid, de plus en plus froid. Relaxez-vous bien, bous sentez l’air frais. Vous voyez les images que vous aimez, la neige, le grand air. Quand vous sentirez la sensation de froideur dans le maxillaire, vous lèverez l’index de la main droite pour m’informer de l’apparition de la sensation. Chaque fois que vous avez la sensation de froid, vous vous relaxez de plus en plus et vous bougez le doigt pour m’avertir. Le froid pénètre la peau, la gencive, l’os maxillaire et les dents. C’est agréable. Vous savez diriger votre sensation. » A ce moment le praticien procède aux soins. Puis il reprend : « Cette sensation commence maintenant à s’estomper … Ne pensez plus à cette sensation. Une température habituelle revient maintenant dans tout votre maxillaire. Vous pourrez faire cet exercice chaque fois que vous en aurez besoin pour apaiser une sensation douloureuse. Vous prenez conscience que vous mobilisez activement tout ce qu’il y a d’harmonieux dans votre cerveau. » On termine par la désophronisation.
L’anesthésie est ainsi programmée pour le moment de l’intervention. L’arrêt puis la reprise du réflexe salivaire, entraîne une amélioration du confort. L’arrêt de l’hémorragie, la suppression de l’œdème, la réduction des douleurs postopératoires et l’activation de la cicatrisation font partie des « effets secondaires » de la sophronisation. Salivation, hémorragies, œdèmes et sensibilités peuvent être modifiés par un réflex pavlovien dès que le patient se trouve dans le fauteuil dentaire, programmé pour la durée des soins (nombre de rendez-vous). Parallèlement, on pourra annihiler le réflexe nauséeux souvent constaté lors du travail en bouche : emploi du miroir, de l’abaisse-langue, et surtout prise d’empreintes et de clichés radiographiques par films intra buccaux. D’autre part, le spécialiste luttera efficacement contre les malaises divers (lipothymie), la toux accidentelle, la toux chronique toujours pénible pendant les longues séances de soins, les névralgies faciales, la contracture inflammatoire des maxillaires (trismus) par la vasodilatation artérielle, la crispation musculaire et le grincement des dents (bruxomanie), les sensations de brulures au niveau de la langue (glossodynie) toujours très rebelles à tout traitement classique, la succion du pouce, l’habitude de se ronger les ongles (ornitophagie).

AG : On voit bien que la sophrologie fait partie intégrante des techniques psychologiques utilisées dans l’arsenal antalgique du dentiste…

JPH : Dans son sens le plus vaste, la sophrologie permet de réduire des difficultés d’importance capitale tant pour le patient que pour le praticien. La dent et son support (le parodonte) ne constituent pas un territoire anatomique marginal. La bouche, organe de la fonction orale, organe sexuel, est une entité majeure extrêmement importante car elle présente une réalité d’ordre social : c’est le vecteur intellectuel qui ne peut être dissocié de l’unité fondamentale, la conscience et le corps. L’odontostomatologiste « l’attaque » de face dans une position pleine d’agressivité et de contrainte souvent en dehors de toute préparation psychologique. La méthode de sophro-restauration orale comprendra donc une phase initiale, autrement dit une sophronisation de base préparatoire précédée de l’interrogatoire (anamnèse) donnant des renseignements sur les antécédents du consultant. C’est une observation médicale tout-à-fait orthodoxe, au cours de laquelle on pourra déceler, par exemple, qu’une édentation même partielle a entraîné une névrose, une psychose, un sentiment insurmontable d’humiliation, un blocage, etc. La sophronisation facilitant la suppression de l’angoisse et l’élimination de l’appréhension, permet d’obtenir avant l’intervention, pendant l’intervention et après l’intervention, les meilleures conditions possibles.

AH : Pour ma part, la sophrologie m’a surtout aidé dans mon épanouissement personnel, et je la considère comme une philosophie utile surtout au praticien, pour l’aider à faire face au stress permanent d’une profession compliquée dans la relation avec les patients qui eux sont encore plus stressés. La pharmacopée actuelle permet d’avoir recours à des prémédications sédatives rapidement éliminées et sans danger. La sophrologie aide surtout le praticien à avoir une autre approche du patient et aide le patient à percevoir le praticien autrement qu’un bourreau .
Les progrès de l’anesthésie générale permettent aussi de traiter des patients qui ont des peurs insurmontables dans de bonnes conditions mais l’inconvénient, c’est que le patient renonce complètement à son corps et ne sort pas enrichi de son expérience comme c’est le cas lorsqu’on l’aide à aller au delà de sa peur.

AG : Comment faîtes vous pour ne pas pratiquer systématiquement une anesthésie générale ?

AH : Un bon argument, qui m’a toujours réussi à convaincre les patients à ne pas recourir systématiquement à l’anesthésie générale est que d’accepter une certaine douleur, limitée, raisonnable, qui en somme fait partie de la vie puisqu’on ne souffre plus quand on est mort, améliore aussi la capacité à ressentir le plaisir physique que peut nous procurer notre corps. Accepter son corps, avec les inconvénients que cela implique, augmente l’intensité du plaisir. L’anorgasmie peut être traitée par des méthodes de prise de conscience du schéma corporel tout comme la « peur du dentiste ».

AG : Imaginons par exemple, un patient entraîné favorablement à la sophro substitution sensorielle. Après intervention, suivie ou non d’un appareillage prothétique, il va quitter le cabinet. Au moment de franchir la porte, il vous pose la question : « Que dois-je faire maintenant Docteur ?

JPH : Réponse : « C’est très facile, nous allons adapter ensemble une méthode à suivre vous-même. Quel exercice de Relaxation Dynamique préférez-vous ? Quelles sont les choses de la nature que vous préférez ? » On établira alors une méthode intégrative de dix minutes en profitant de l’expérience vécue, sophronisation de base, puis sophro acceptation programmée en ajoutant les nouvelles données fournies par le patient. Dans le moment final de renforcement, on évoquera cette image de la nature, par exemple la montagne, en remarquant que le but de la sophrologie est le retour à la nature particulièrement oubliée par l’homme occidental. Cette méthode ne coupera donc pas la relation médecin malade. Elle ouvrira au contraire une période d’entrainement de base, sans plus aucun rapport avec l’odontostomatologiste, mais en accord avec l’harmonie de la nature. Le patient n’est pas esseulé, livré à lui-même dans un désarroi plus ou moins dissimulé avec toutes les conséquences que cela comporte. C’est une libération établie sur un fait concret, une restructuration finale dont nous pourrons bénéficier longtemps après dans l’éventualité de nouveaux soins. Cette liberté d’entraînement se répercutant dans l’avenir apparaît d’une importance capitale et transforme l’acte désespérément limite de la spécialité.

AG : N’y at-il pas des contre-indications ?

JPH : Les contre-indications paraissent réduites à la condition d’éliminer comme nous l’avons vu les psychopathies graves. Il y a néanmoins un risque de faire apparaître une névrose latente ou d’augmenter une névrose discrète déjà existante avec suppression du symptôme primaire et transformation en maladie psychosomatique. C’est la raison pour laquelle l’odontologiste sophrologue doit posséder une formation scrupuleuse.

Merci à nos deux invités pour leur réponses concrètes. Science humaine et philosophie humaniste, la sophrologie a donné d’extraordinaires dimensions à la discipline dentaire. Et c’est très bien ainsi !

Dr. Jean-Pierre Hubert : http://jp.hubert.sophrologie-bioanalyse.com

Dr. Albert Hauteville : https://conseildentaire.com

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